POLLINIS mène actuellement une action en justice pour obtenir la transparence du SCoPAFF.

Le SCoPAFF est un comité technique au sein duquel siègent des représentants des États membres de l’Union européenne. Prenant des décisions clés pour l’agriculture sur le continent, il reste couvert d’une opacité presque totale, gardant secrets les noms de ses membres et les positions qu’ils défendent. Des documents obtenus par POLLINIS permettent de mieux comprendre son fonctionnement ainsi que la nature de ses décisions, et révèlent que les entreprises de l’agrochimie y ont un accès privilégié.

 

 

Au cœur de la gestion des réglementations agricoles en Europe se trouve un groupe d’experts au nom à rallonge et aux pouvoirs démesurés : le SCoPAFF, à savoir le Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale (en anglais, Standing Committee on Plants, Animals, Food and Feed). Chargé de questions concernant l’intégralité de la chaîne de production alimentaire, du champ à l’assiette, il fait partie des comités techniques censés assister la Commission européenne sur les aspects techniques de l’application des lois sur le continent.

Présidé par cette dernière, le SCoPAFF réunit des représentants des 27 États membres de l’Union européenne. Si son rôle se limite en théorie à des aspects techniques – devant assurer que les mesures prises soient « pratiques et efficaces »1 –, le comité prend en réalité des décisions politiques déterminantes pour l’équilibre de la biodiversité, actant par exemple des procédures d’évaluation des risques des pesticides sur l’environnement.

Malgré l’importance de ses choix, il s’avère difficile de savoir comment ces derniers sont faits : le SCoPAFF offre en effet à ses membres une impunité parfaite grâce à une opacité totale… Ou presque : alors que les citoyens ne peuvent accéder ni au détail de leurs délibérations ni à leurs identités, il semblerait que le lobby de l’agrochimie dans l’Union européenne ait un accès privilégié à certains membres du comité, et que le manque de transparence serve surtout l’industrie, ce que POLLINIS révèle dans une enquête en trois volets.

Les comités techniques européens : une technocratie opaque

Le SCoPAFF fait partie d’un ensemble de comités techniques censés épauler la Commission européenne dans la mise en place de législations et de réglementations. Créés dans les années 1960, initialement pour répondre à un objectif pratique et limité, il en existe aujourd’hui 3002, formant un système désigné sous le terme de « comitologie ». « L’objectif était de libérer du temps pour les négociateurs du Conseil des ministres, afin qu’ils n’aient pas à s’occuper de tous les détails techniques », expliquait ainsi Céline Robert, professeure à Sciences Po Lyon, en 2020.

Dans un rapport publié en 2019, cette spécialiste des institutions européennes met en lumière les dérives de ce système, expliquant notamment l’influence grandissante des comités. Les décisions de certains d’entre eux ont ainsi très concrètement transformé des projets de législation européenne, et ils sont amenés à « à prendre un certain nombre de décisions importantes qui auront des impacts sur chacun d’entre nous », écrit-elle.

« La comitologie [le système composé par l’ensemble des comités] est en fait amenée à prendre un certain nombre de décisions importantes qui auront des impacts sur chacun d’entre nous, d’une façon qui n’est pas forcément transparente, et sans que les acteurs concernés se perçoivent comme politiquement responsables devant les citoyens ». 

– Céline Robert, interviewée par POLLINIS en décembre 2020

Malgré ce rôle central, les activités des comités restent couvertes d’un certain secret dont le niveau est défini par des règles propres à chacun d’entre eux, dans le but de protéger leurs membres de pressions externes. Dans le cas du SCoPAFF, l’opacité est quasi parfaite : les comptes rendus des réunions sont incomplets, l’identité des experts est gardée secrète, tout comme leurs positions et les votes des États qu’ils représentent.

Le SCoPAFF : un grand pouvoir et aucune responsabilité

Dans ce cadre presque parfaitement hermétique, les membres du SCoPAFF se répartissent dans 14 sections thématiques où ils prennent des décisions majeures pour l’agriculture européenne et l’équilibre des écosystèmes. Selon les sujets, le SCoPAFF peut être consulté « pour avis » ou, comme pour l’autorisation ou la prolongation de mise sur le marché d’une substance pesticide, prendre lui-même une décision. Il décide également, à cet égard, des protocoles d’évaluation des risques auxquels ces molécules doivent se plier pour entrer sur le marché européen.

Ses membres décident à la majorité qualifiée, c’est-à-dire que plus de la moitié d’entre eux doivent être d’accord, et les États qu’ils représentent doivent inclure plus de 60 % de la population de l’Union européenne. Si aucun accord n’émerge, la Commission européenne, qui préside le comité, peut convoquer un comité d’appel et, finalement, prendre la décision elle-même. C’est par exemple ce qu’il s’est passé en novembre 2023 lorsque, faute d’accord, la Commission européenne a décidé d’accorder dix années d’autorisation supplémentaires au glyphosate, le tristement célèbre herbicide de Bayer-Monsanto.

L’opacité du SCoPAFF, idéale pour les industriels et létale pour les abeilles

Dans le cadre de ses recherches, POLLINIS a mis au jour des échanges d’emails qui laissent à penser que le lobby 3 représentant les intérêts des principales multinationales de l’agrochimie à Bruxelles – dont Bayer-Monsanto, Syngenta-ChemChina ou BASF –, a pu écrire directement aux membres du SCoPAFF… et connaîtrait donc leur identité. Ce qui est gardé secret pour la quasi-totalité des citoyens serait donc connu de l’industrie.

 
1Standing Committee on Plants, Animals, Food and FeedCommission européenne2Liste des comités Commission européenne3Aujourd’hui baptisé Croplife Europe, le lobby représentant les intérêts de l’agrochimie se dénommait ECPA : European Crop Protection Association jusqu’en 2021.
 

Dans ce mail (en pdf ici), on aperçoit à gauche l’expéditeur : le lobby de l’agrochimie (ECPA), qui envoie à un ensemble d’adresses e-mail rattachées à des institutions des États membres de l’Union européenne sa position au sujet de l’EFSA Bee Guidance Document de 2013. En dernière page, il est indiqué que le document en pièce jointe s’adresse, en copie (“CC”), aux membres du SCoPAFF, ce qui pourrait indiquer que la liste d’emails correspondrait à celles des membres du comité.

 
 

 

Ce document a été envoyé le 18 septembre 2013 par l’ECPA – European Crop Protection Association, devenue CropLife Europe en 2021– avec, en copie, les membres du comité technique. Cette période est marquée, pour le SCoPAFF, par le début des négociations autour d’un document cadre tout juste publié par l’autorité sanitaire européenne, l’EFSA : le Bee Guidance Document 2013.

Ce dernier, qui proposait de nouveaux protocoles de tests pour évaluer de manière plus précise et complète les risques que font peser les pesticides sur les abeilles, représentait une évolution inacceptable pour l’agrochimie, qui a fait parvenir au plus vite ses arguments aux membres du SCoPAFF pour bloquer la mise en œuvre du document.

Le courrier de l’industrie ne semble pas être resté lettre morte. Une enquête de POLLINIS basée sur des documents que l’ONG a obtenus de la Commission européenne dans le cadre d’une longue procédure juridique, montre la façon dont le comité a effectivement bloqué, pendant environ dix ans, la mise en place de nouvelles procédures d’évaluation des risques des pesticides pour les abeilles.

Découvrez comment le manque de transparence du SCoPAFF peut servir les intérêts de l’industrie

Lire l’enquête de POLLINIS

Alors que l’opacité qui couvre le SCoPAFF est censée le protéger de pressions externes, il apparaît dans cette enquête que certains de ses membres ont fait passer les intérêts de l’industrie avant ceux de l’environnement et des citoyens de l’Union européenne. En usant d’arguments semblables à ceux de l’agrochimie, le comité s’est opposé à la mise en œuvre de ces nouveaux protocoles de tests, dévoilant les contours d’un scandale dans lequel le secret décisionnel qui couvre le SCoPAFF offrirait à ses membres une impunité totale, et aux lobbys représentants des activités industrielles toxiques la possibilité d’agir dans l’ombre.

L’opacité de ce comité sert les intérêts privés avant le bien commun, freine le développement de politiques protectrices de la biodiversité, et permet de faire du SCoPAFF un terrain de jeu idéal pour le lobby de l’agrochimie. Alors que la quantité d’insectes volants, desquels font partie de nombreux pollinisateurs, s’est effondrée de plus de 70 % en 30 ans en Europe de l’Ouest, la transparence des institutions apparaît être un préalable indispensable à la mise en place de réglementations favorables à la sauvegarde des abeilles, de l’ensemble des pollinisateurs et, plus largement, du Vivant.

 

POLLINIS mène actuellement une action en justice pour obtenir la transparence du SCoPAFF.

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