Pour faire accepter les projets de réensauvagement auxquels elle participe, l’association Rewilding Europe cherche, plutôt que d’isoler les espaces préservés, à créer des activités économiques autour d’eux.
« La question reste de savoir quel impact ont ces actions au niveau écologique certes, mais aussi au niveau social », met en garde Nicolas Lescureux, chercheur au CNRS. Sur son site internet, Rewilding Europe vante par exemple la remise en eau des tourbières du delta de l’Oder, en Allemagne et en Pologne.
Avec ce projet, l’association se félicite d’avoir créé « 70 nouveaux emplois dans le tourisme et la conservation de la nature », mais reconnaît que 35 emplois dans l’agriculture ont également disparu dans le même temps. « Dans une Europe où l’agriculture s’intensifie et le nombre d’agriculteurs baisse, ce qui implique plus de mécanisation et plus d’intrants, je peine à voir en quoi la disparition de 35 emplois dans l’agriculture invite à se réjouir, alerte le chercheur. Et, jusqu’à preuve du contraire, un touriste n’est pas comestible. »
Nicolas Lescureux est également défavorable à une séparation stricte des activités productives et des activités de protection de la nature. « C’est une forme d’aveu d’échec : nous ne serions pas capables de tirer notre subsistance sans tout détruire, donc nous nous retirons d’une partie de la planète et nous intensifions l’exploitation de l’autre partie », analyse-t-il. Le risque est de ne jamais remettre en question les causes du déclin de la biodiversité : notre surconsommation et le crédo de la croissance économique.
Quels sont ces projets d’élevage ? « Aujourd’hui, on finance par exemple un jeune éleveur pour qu’il s’installe avec des grands herbivores pour gérer ses terres en améliorant la biodiversité », évoque-t-il toutefois. Ici, la finalité est double : élever des animaux suffisamment rustiques pour vivre toute l’année dehors et apporter tous leurs bénéfices aux écosystèmes, tout en permettant une valorisation économique du troupeau par l’éleveur. « On a mis à disposition de l’éleveur une bourse d’étude pour qu’il aille voir ce qui est déjà en place aux Pays-Bas ou en Espagne avec des bisons, des chevaux sauvages de type Przewalski, des aurochs domestiqués », détaille Gilles Rayé.
Impact social
La question agricole percute souvent celle du réensauvagement. Le projet « Vercors Vie Sauvage », porté par l’association Aspas, fait ainsi l’objet de critiques. Il s’agit d’une réserve de vie sauvage de 490 hectares inaugurée en 2019, sur la commune de Léoncel (Drôme). Toute activité agricole y a été interdite. Les terrains ont été achetés 2,3 millions d’euros grâce à un système de dons défiscalisables. « Ça coûte très cher ce type de projet, on ne peut donc pas les démultiplier. Et puis il y a un fossé énorme entre le monde rural et le monde de la protection de la nature », analyse Gilles Rayé. L’homme se dit pourtant favorable à une alliance entre la biodiversité et le monde agricole.
https://basta.media/reensauvagement-nature-pour-la-biodiversite-ou-tourisme