« L’agriculture cellulaire est un projet de scientifiques et d’industriels tout comme l’était le projet zootechnique appuyé sur la “science de l’exploitation des machines animales”, la zootechnie, qui a été créée ex nihilo pour servir un objectif de production efficace, rentable et innovant de la matière animale. Ainsi que l’écrivait André Sanson en 1888 : “Une telle façon d’envisager la zootechnie (ceux qui ne sont pas au courant de son histoire auront peine à le croire) ne date que de peu de temps (…) c’est, ainsi que nous l’avons établi, une notion relativement nouvelle, que celle qui consiste à envisager l’exploitation des animaux agricoles comme devant produire des profits directs.” »
Les intérêts financiers derrière la production alimentaire sont gigantesques. Les marchés de la viande et du poisson s’élèvent respectivement à 400 milliards de dollars et à 4 trillions de dollars au niveau mondial[29]. Le marché de l’agroalimentaire est le plus important au monde selon le magazine Forbes[30], d’où l’intérêt, vital pour l’industrie, de détruire l’autosuffisance des populations paysannes partout dans le monde (après l’avoir détruite en Occident[31]). Depuis le départ, l’agriculture techno-industrielle est à la fois génocidaire et écocidaire. Elle détruit la diversité biologique et culturelle, élimine le travail humain, produit globalement moins de 8 % de la nourriture destinée aux humains et en condamne 3,9 milliards à la sous-alimentation et à la malnutrition[32].
Ajoutons que l’opposition entre une industrie de l’élevage présentée comme « réactionnaire » et une industrie de l’agriculture cellulaire « progressiste » a tout d’une mise en scène[33]. La Confédération paysanne nous apprenait récemment que la FNSEA, principal syndicat de l’agro-industrie, était plutôt favorable à la viande in vitro[34]. Par ailleurs, les géants de l’industrie agroalimentaire (Tyson Foods, Cargill, Grimaud, Nestlé, Bell Food, etc.) investissent massivement dans la viande cellulaire ou ont des liens avec les startups du secteur[35]. Similairement, l’opposition entre énergie dite « propre » et énergie dite « sale » est largement factice, puisque les principaux groupes pétroliers investissent massivement dans les énergies renouvelables[36].
En consommant végan ou « neutre en carbone », la seule chose dont vous pouvez être certain, c’est d’engraisser l’industrie agroalimentaire, Bill Gates et ses copains ultrariches – Jeff Bezos, Xavier Niel, Richard Branson, Peter Thiel, Elon Musk, Reid Hoffman et bien d’autres – qui ont tous investi dans des startups véganes[37]. Pour ce qui est de sauver la planète, rien n’est moins sûr.
L’agriculture cellulaire, un carnage social et écologique en perspective
Tout comme les hypothétiques bienfaits sanitaires d’une alimentation strictement végétale, les avantages écologiques de l’agriculture cellulaire reposent sur des hypothèses, des promesses et des croyances – c’est-à-dire du vent.
D’abord, il faut rappeler que la majorité des chiffres sur les émissions carbone de l’élevage, relayés autant par le GIEC que par les ONG et influenceurs du climat, proviennent presque exclusivement d’exploitations commerciales et industrielles des pays du Nord. Rien ou presque sur l’empreinte carbone du pastoralisme africain, mode de subsistance essentiel à 268 millions de personnes sur le continent. Affirmer que les substituts végétaux vont permettre de réduire les émissions de carbone du système industriel globalisé, c’est procéder à un partitionnement absurde du système entre d’un côté de gentilles industries décarbonées, et de l’autre de méchantes industries carbonées. Dans le monde réel, les premières dépendent des secondes et vice versa.
Comme je le montre depuis plusieurs années sur ce blog, l’écologie est constamment instrumentalisée par des personnes ou des organisations cherchant à défendre leurs intérêts. Les antispécistes, que ce soit des associations telles que L214[38] ou des influenceurs de la trempe d’un Jean-Marc Gancille, construisent des argumentaires fallacieux pour faire avancer leur projet antispéciste, étatiste et industrialiste.
Face aux promesses farfelues de l’agriculture cellulaire, la réalité est beaucoup moins glorieuse. Premièrement, les évaluations des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la production de viande in vitro reposent sur des hypothèses, car la production à échelle industrielle n’existe pas. Plusieurs études montrent qu’en termes d’émissions de GES, la viande cellulaire ne ferait pas mieux que l’élevage de poulet et de porc, tandis qu’une autre parue en 2019 estime que la production de viande cellulaire émet plus que l’élevage bovin. En outre, cette technologie consomme plus d’énergie que n’importe quelle forme d’élevage. Il faut maintenir artificiellement la température du milieu de culture à 37°C, sans parler de la production en amont dudit milieu de culture ou de la stérilisation des cuves entre chaque cycle de production.
Quant aux calculs sur la consommation d’eau et de terres par rapport à l’élevage, ils sont souvent présentés de manière trompeuse. Les chiffres pour l’élevage ne tiennent jamais compte de la diversité infinie des techniques d’élevage à travers le monde. C’est souvent le modèle commercial et industriel qui sert de référence, jamais l’élevage de subsistance traditionnel. Sur la consommation d’eau, la fabrication de viande in vitro nécessiterait entre 400 et 500 litres contre 550 à 700 litres pour la viande de bœuf[39].
Dans une étude parue en octobre 2022 dans la revue Nature Food, Philip H. Howard, spécialiste des systèmes alimentaires écologiquement soutenables, note que l’agriculture cellulaire dépend de l’agriculture industrielle autant que de l’élevage industriel. En aucun cas il y a substitution.
« L’agriculture cellulaire continuera probablement à s’appuyer sur des matières premières issues des chaînes d’approvisionnement conventionnelles, telles que les dérivés du soja, du maïs, des pommes de terre et du blé. Par exemple, l’entreprise Eat Just a récemment conclu un accord de développement conjoint avec le transformateur de céréales et d’oléagineux ADM pour un milieu de croissance destiné à la viande cellulaire. Si ces produits se développent au-delà d’un marché de niche, la demande pour les monocultures augmentera également. Les impacts écologiques de ces systèmes de production à forte intensité chimique et fossile comprennent l’épuisement des ressources, la pollution, la dégradation des sols et la perte de biodiversité. […] À moins que les défis techniques actuels ne soient surmontés, la viande cellulaire dépendra également des produits des entreprises de transformation de la viande conventionnelle, tels que le sérum sanguin prélevé sur des fœtus de veau dans les abattoirs de vaches laitières[40]. »
SOURCE : GREEN WASHING ECONOMY https://greenwashingeconomy.com/festival-low-tech-nantes-lobbyistes-agriculture-cellulaire/?fbclid=IwAR0L3CyMthO1r-4KIALSwM3Tnjnqhsc77ATWy2dvDm3h6-bXuKoTczjOprM#post-7095-endnote-ref-27
La tech planifie la disparition de l’agriculture et de l’élevage en 2030
On le subodorait, mais c’est confirmé : la disparition de l’agriculture et de l’élevage est programmée pour 2030. La décennie qui vient sera consacrée à la transformation progressive de la nourriture, grâce à la « fermentation de précision »
Dans un rapport de septembre 2019 intitulé « Repenser l’alimentation et l’agriculture, 2020-2030 », le think tank américain RethinkX annonce que « nous sommes à l’aube de la perturbation la plus rapide, la plus profonde et la plus conséquente » de l’histoire de l’agriculture. D’ici 2030, toute l’industrie laitière et bovine américaine se sera effondrée. Elle sera remplacée « par un modèle de Food as Software, où les aliments sont conçus par des scientifiques au niveau moléculaire et téléchargés dans des bases de données accessibles aux concepteurs d’aliments partout dans le monde« . Ce think tank destiné à orienter les investisseurs vers les secteurs de pointe ne lance pas un pari douteux.
Les investissements affluent dans les technologies alimentaires, des startups produisent déjà de la viande végétale ou à base de protéines cultivées dans des boîtes de Petri. Les produits de fausse viande sont commercialisés dans les grandes surfaces et les fast-food, y compris en France. Pour accroître les profits et aller plus vite, il est question de fabriquer la fausse viande par le biais d’imprimantes 3D. KFC a confié la réalisation du matériel pour ses faux beignets de poulets à une entreprise russe. La startup israélienne Redefine Meat est également dans la course pour les faux steaks. En arrière plan des startups se profilent les géants de l’agro-alimentaire (Unilever, Cargill, Tyson…), les GAFAM et les milliardaires de la Silicon Valley (Bill Gates, Richard Branson, ,Elon Musk, Jeff Bezos, Peter Thiel etc…).
On y trouve aussi Xavier Niel figurant désormais parmi les 10 premières fortunes de France, et qui a bien l’intention de se faire une place au soleil californien. « C’est aux entreprises de la Silicon Valley d’avoir peur, pas à nous. On va les tuer« déclarait-il en 2018, tout en suivant les traces des géants de la Silicon Valley. De fait, il investit de plus en plus dans l’alimentation technologique, un marché estimé à 140 milliards $ dans 10 ans. Kima Ventures, le fonds d’investissement qu’il a créé en 2010, soutient la startup 77 Foods qui fabrique du bacon à base plantes. Plus récemment, en 2019, il s’est lancé dans une pépite de la Foodtech, « Motif Ingredients », au côté de Jeff Bezos, Jack Ma, le colosse du négoce Louis Dreyfus Company et bien sûr de Bill Gates, en participant au fonds Breakthrough Energy Ventures. Car l’affaire est prometteuse, Motif Ingredients ambitionne de créer les ingrédients végétaux nécessaires à la fabrication de fausse viande, faux lait, faux oeufs…
L’intérêt soudain de Xavier Niel à la souffrance animale, au point de vouloir faire disparaître l’élevage, s’inscrit dans les pas des patrons de la Silicon Valley, avec une décennie de retard. « Mes enfants m’ont ouvert les yeux. L’insensibilité c’est l’horreur » a-t-il déclaré lors de la conférence de presse du 2 juillet dernier en présentant le référendum d’initiative populaire (RIP) en faveur de la cause animale. Même sentiment pour ses amis Marc Simoncini et Jacques-Antoine Granjon qui participent au projet, au côté d’une vingtaine d’associations. On aimerait y croire. Les investissements dans la foodtech censée supprimer la « souffrance » des animaux de rente battent en brèche ces bons sentiments. Surtout lorsqu’il s’agit de tuer la concurrence de l’élevage, et de libérer 30% des terres qu’il occupe…
Liens
Philippe Oberlé : https://www.facebook.com/philippe.oberle.5/posts/3153495798091448
SOURCE : FRANÇOISE DEGERT LE CLUB DE MÉDIAPART